Le long chemin de la communication, Sortie du silence (3/6)
Il y a près de quatre ans, Floriane Willemin a fait une rencontre décisive qui lui a permis de rompre une digue, celle d’années de silence. Rencontre avec Laure Nusbaumer, la pédagogue spécialisée par qui tout est arrivé.
«Vous savez, Floriane a toute sa tête», prévient d’emblée Laure Nusbaumer lorsque nous la retrouvons chez elle à Pleujouse. Engagée en 2017 par le Foyer des Fontenattes à Boncourt, cette pédagogue spécialisée, diplômée de l’Université de Fribourg, est celle qui a sorti Floriane Willemin de la noirceur en l’aidant à communiquer. Mais il ne faut pas croire. La communication n’a pas été établie du jour au lendemain. Perspicace et patiente, Laure exige beaucoup de Floriane, osant parfois la bousculer. Bien lui en prend. Mais les débuts sont laborieux, les progrès imperceptibles. Trois ans passent avant que Floriane n’écrive ses premières phrases, en 2021.
Réactions appropriées
La jeune femme, diagnostiquée en «état pauci-relationnel chronique», dit de conscience minimale, avait rejoint la structure boncourtoise quelques années plus tôt en 2011. À l’exception d’un bras et d’un pouce qu’elle peut volontairement bouger, elle est complètement dépendante, en chaise roulante. «Les éducateurs des Fontenattes, qui voient les personnes différemment du milieu infirmier, avaient remarqué que Floriane pouvait avoir des réactions complètement appropriées en certaines circonstances. À certains moments, on avait l’impression qu’elle était là, qu’elle riait lorsqu’on riait, alors que d’autres fois, elle était absente. C’était peu clair», raconte Laure Nusbaumer. Sans trop savoir à quoi s’attendre, la professionnelle reste réservée quant à l’issue de la démarche. «J’ai dit à sa maman que j’allais essayer de faire quelque chose, mais que je ne pouvais rien lui promettre.» Les premières séances, basiques, débutent en janvier 2018. Tout commence par des images, des pictogrammes qu’elle montre à Floriane. Le but du jeu? Observer les réactions de la résidente. Saura-t-elle identifier les images? Très vite, à ses mimiques notamment, Laure Nusbaumer a le sentiment que Floriane se moque d’elle. «J’ai eu l’impression que cela la faisait rire, qu’elle tentait de me dire: «Hé, ma cocotte, c’est un peu trop simple…» Alors elle lui propose d’associer des images comme dans une sorte de jeu de memory. Et, ô surprise, tout concorde parfaitement. La pédagogue n’est pas au bout de ses surprises. Quelque temps plus tard, Floriane réussit à faire correspondre un terme écrit (arbre) à une image (d’arbre): «C’est pas possible, s’étonne la responsable, elle sait encore lire…» Laure Nusbaumer est chamboulée par ses découvertes: «J’ai très vite perçu des signes car je suis formée pour cela, mais émotionnellement, cela a été très compliqué à gérer. J’ai eu des doutes, je me suis demandé si je n’affabulais pas.» Pas question, pour la pédagogue, qui revendique une approche très scientifique, que cela passe pour de la communication facilitée.
Quelque temps plus tard, lorsqu’elle soumet une série de questions à Floriane, auxquelles celle-ci est invitée à répondre par oui ou non, elle doit se rendre à l’évidence: Floriane la comprend. Et la comprend sans qu’elle doive utiliser de support visuel, sans tomber dans le langage «bébé» ou sans articuler outre mesure. Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. «Parfois, c’était encore un peu difficile, elle regardait ailleurs.» La professionnelle suspecte une déficience visuelle. Des examens ophtalmologiques confirment que Floriane est malvoyante: seul un quart de son œil gauche voit. Voilà qui n’aide pas. Pour faciliter la communication, Laure lui confectionne alors deux cartes, l’une verte et lisse qu’elle peut lever pour exprimer un «oui», l’autre rouge et rugueuse pour répondre par la négative. «J’ai fait ça dans sa chambre, cela n’a rien coûté, j’ai juste découpé quelques cartons, pas besoin d’avoir fait un doctorat.» Avec cette aide, Laure Nusbaumer soumet à Floriane une échelle de réveil de coma et arrive à la conclusion qu’elle en est sortie.
«Elle écrit sans faute»
Tant qu’à faire, la pédagogue vérifie ses connaissances scolaires. Bilan? «Elle n’a rien oublié, vocabulaire d’allemand, additions et soustractions, elle écrit sans faute, tout est là. Elle est complètement là. Il faut vous rendre compte qu’elle est comme vous et moi. C’est juste qu’elle ne peut pas bouger comme vous, ni parler. D’ailleurs, depuis qu’on a décelé tout ça, elle est beaucoup moins agressive.»
«C’est incroyable»
Ses premiers mots, Floriane les a écrits, avec l’assistance de Laure, en énumérant l’alphabet sur deux feuilles A4 (l’une comportant les voyelles, l’autre les consonnes). Ensuite, Floriane est passée à l’informatique, grâce à l’aide de l’association Active communication. «C’est incroyable que je puisse utiliser un ordinateur», écrit-elle alors. Avec son pouce (la main tenue par Laure), Floriane appuie sur des contacteurs reliés à un ordinateur pour épeler des lettres, et former des phrases. Un mode de communication lent et laborieux. Mais qui, lors de notre entretien avec Floriane, nous a laissés sans voix.
© Cet article est reproduit avec l’autorisation des Editions D+P SA, société éditrice du Quotidien Jurassien, 5 octobre 2022
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